Face aux exigences jurisprudentielles entourant les clauses de non-concurrence, spécialement en matière sociale, la pratique a inventé la clause de non-sollicitation.
Cette clause est fréquente notamment dans les contrats commerciaux (accords de distribution, cessions de parts sociales ou d’actions, cession de fonds de commerce) et les contrats de prestation de services (informatique, prestations intellectuelles …) et a pour objet de prévenir toute velléité de débauchage des collaborateurs ou salariés et préserver le savoir-faire de l’entreprise.
Plus largement, la clause de non-sollicitation est celle par laquelle deux sociétés s’interdisent réciproquement le débauchage et l’embauche après la rupture du contrat de travail, de tout ou partie de leurs collaborateurs ou salariés (1). Elle impose ainsi une obligation de ne pas faire.
Cette clause ne doit pas être confondue avec la clause de non-sollicitation de clientèle (encore appelée clause de non-captation de clientèle), laquelle est insérée dans le contrat de travail et interdit au salarié de solliciter les clients de son ancien employeur après la rupture du contrat de travail. Ces deux clauses, bien qu’elles soient d’un genre voisin, suivent des régimes nettement distincts. La chambre sociale n’hésite pas à requalifier la clause de non-sollicitation de clientèle en clause de non-concurrence, illicite faute de contrepartie financière (2).
De même, la clause de non-sollicitation doit être distinguée de la clause de non-concurrence en ce qu’elle ne lie pas un salarié à son employeur mais deux entreprises. La chambre commerciale a ainsi affirmé son autonomie en jugeant qu’elle ne « constitue pas une clause de non-concurrence dont elle n’est ni une variante ni une précision de celle-ci » (3). Elle n’a donc pas à être limitée dans l’espace et dans le temps ainsi qu’elle ne requiert pas l’octroi d’une contrepartie financière à l’égard des salariés ou collaborateurs concernés, lesquels ne sont pas parties au contrat (4).
La nature de la clause de non-sollicitation et partant sa validité ne fait donc plus débat pour la jurisprudence. Pour autant, on verra plus loin, que son efficacité n’est pas totale ; elle peut être remise en cause dès lors qu’elle porte atteinte à une liberté fondamentale.
Pour l’instant, rappelons que la clause de non-sollicitation, conclue entre deux entreprises, étant valable en vertu du principe de la liberté contractuelle, il en résulte qu’en cas de violation de celle-ci, la partie défaillante engage sa responsabilité. Cette clause est souvent assortie d’une clause pénale fixant le montant forfaitaire dû en cas de violation.
Ainsi, dans un arrêt récent en date du 1er juillet 2016, les juges du fond ont, s’agissant d’une société qui avait embauché un salarié de son fournisseur qui lui avait antérieurement été mise à disposition dans le contrat de maintenance, condamné cette société à payer à ce fournisseur la somme de 13.000 euros pour violation de la clause de non-sollicitation prévu dans le contrat (5).
S’il est vrai que la violation de la clause de non-sollicitation peut donner lieu à des sanctions, il n’en demeure pas moins, qu’une telle clause peut avoir des effets contraignants pour le salarié dans la mesure où elle limite indirectement sa liberté de travail.
En effet, si cette clause n’empêche pas le salarié d’être embauché par un concurrent de son employeur (non signataire de la clause) ou d’exercer une activité concurrente pour son propre compte, elle peut néanmoins restreindre considérablement sa faculté d’être embauché par un employeur potentiel. Cette situation est d’autant plus dommageable lorsque cet employeur exerce une position dominante dans son secteur d’activité, générant ainsi un cloisonnement du marché.
Prenant en compte l’impact d’une telle clause sur le salarié, la Cour de cassation a jugé que le salarié pouvait exercer une action en responsabilité extracontractuelle contre son employeur afin d’obtenir réparation du préjudice que lui cause la clause de non-sollicitation. En l’espèce, un salarié faisait valoir que la clause de non-sollicitation conclue entre son employeur et une autre société l’avait empêché d’être embauché par cette dernière, ce qui portait atteinte à sa liberté de travailler. La Haute Cour a accueilli cet argument considérant qu’un « employeur est tenu d’indemniser son ex-salarié du préjudice résultant de la stipulation d’une clause de non-sollicitation liant l’employeur et une société » (6).
La Cour de cassation reconnaît une action privilégiée au salarié pouvant se prévaloir d’un trouble causé par la clause de non-sollicitation sans contrepartie (7).
Notons qu’au regard des décisions rendues, la clause de non-sollicitation, bien qu’elle soit licite, n’est pas pleinement efficace. Ses effets allant au-delà des parties à l’acte, les juges sont donc particulièrement attentifs sur son contenu rédactionnel (8) et n’hésitent donc pas à la sanctionner lorsqu’ils estiment qu’elle porte une atteinte excessive à la liberté de travail du salarié ou collaborateur (9).
En pratique, nous recommandons aux entreprises ayant stipulé de telles clauses de porter une attention particulière à leur rédaction afin d’éviter le risque financier d’une possible indemnisation des salariés ou collaborateurs indirectement entravés dans leur possibilité de choix d’un employeur.
1) Teyssié B. (dir.) Guide des clauses du contrat de travail, Lexisnexis, 2014, p.301
(2) Cass. Soc. 27 oct. 2009 n°08-41.501
(3) Cass. com., 11 juill. 2006, n° 04-20.438 : JurisData n° 2006-034737
(4) Cass. com. 10 mai 2006, n° 04-10149, Bull. civ. V, n°116
(5) CA Paris, 1er juillet 2016, n° 13/20772
(6) Cass. soc. 2 mars 2011, n°09-40.547
(7) Cass. com., 10 mai 2006, n 04-10.149, Bull. civ. IV, no 116
(8) CA Versailles, 14 décembre 2017, n°15/04790
(9) Cass. soc. 2 mars 2011, n°09-40.547